C’est confirmé par les plus hautes autorités le dimanche 2 octobre 2022, Haïti vient de connaître ses premiers décès suite au choléra et plusieurs patients sont hospitalisés provenant de quartiers très peuplés de la région métropolitaine de Port-au-Prince.
« Le ministère de la Santé publique et de la Population informe la population de la détection d’un cas confirmé de choléra à Savanne Pistache/ Decayette dans la commune de Port-au-Prince et de cas suspects à Brooklyn dans la commune de Cité Soleil”, selon une note de la direction générale du MSPP.
Le directeur général du MSPP, le Dr Lauré Adrien, a précisé qu’il y a deux foyers infectieux identifiés à Brooklyn à Cité Soleil et à Decayette à Carrefour Feuille. Ces deux foyers ont déjà provoqué entre 7 et 8 décès.”
Malheureusement, a-t-il expliqué, ces décès sont survenus dans les communautés, c’est pourquoi nous n’avons pas de chiffres exacts.
Ce n’est pas encore une épidémie comme celle apparue en octobre 2010 qui avait tué plus de dix mille personnes et affecté plus de huit cent mille, mais ce retour d’une maladie hydrique, qui avait été officiellement éradiquée du territoire après trois ans sans aucun cas, est une très mauvaise nouvelle.
Pour contenir toute éventuelle flambée, le Dr Jean William Pape, responsable des centres Gheskio, a appelé, en ces temps de crise, à l’établissement d’un couloir humanitaire pour soigner les malades qui sont dans des communautés précaires.
Pour le Dr Pape, la crise énergétique, l’absence d’accès à l’eau potable, la difficulté de se procurer les intrants pour traiter l’eau, l’incapacité à évacuer les déchets, constituent un terreau fertile à la résurgence du choléra que les professionnels de santé en Haïti savent soigner.
L’annonce du retour du choléra, dimanche 2 octobre, intervient le même jour qu’une autre annonce. Celle de la société Culligan, le plus ancien et plus important fournisseur d’eau traitée du pays, arrête ses activités de traitement et de vente d’eau potable faute de carburant pour pouvoir poursuivre ses opérations.
La Caribbean Bottling Company (CBC), embouteilleur de l’eau Culligan, peut-on lire dans une note « est désolé d’informer sa fidèle clientèle qu’à partir d’aujourd’hui 2 octobre, elle n’est plus en mesure de produire ni de distribuer l’eau Culligan car nos réserves de diesel sont totalement épuisées ».
« La pénurie de carburant qui sévit présentement dans le pays paralyse toute notre chaîne de production et de distribution qui dépendent uniquement du diesel. L’eau potable est une ressource vitale et primordiale pour la santé publique. Son indisponibilité touche tous les secteurs de la société. Pour cette raison, nous continuons nos démarches auprès des instances concernées afin de pouvoir redémarrer nos activités au plus tôt et de manière soutenable », selon Culligan.
La compagnie Culligan qui s’arrête de travailler n’est que la pointe de l’iceberg. Depuis des semaines, les uns après les autres, les petits producteurs et transporteurs d’eau étaient dans l’impossibilité de produire ou de livrer de l’eau à domicile où dans les échoppes qui vendent le précieux liquide. Toujours à cause de l’indisponibilité de carburant ou des routes bloquées.
Le choléra revient en Haïti à un moment où les Haïtiens boivent n’importe quelle eau faute de mieux. Les produits pour traiter l’eau sont tout aussi rares que le carburant après des semaines de blocage des ports et centres de stockage des produits pétroliers sous les yeux impuissants des autorités.
En quelques mots, le dimanche 2 octobre 2022, la personnalité la plus connue de la Digicel, principale compagnie de télécommunications en Haïti, Maarten Boute, a décrit sur Twitter un tableau de la situation actuelle d’Haïti comme il le fait périodiquement : « 19 jours et Haïti est toujours presque complètement paralysé. Depuis le 13 septembre, aucune importation formelle de nourriture n’a eu lieu (ports et frontières fermés). Les entrepôts alimentaires sont vides ou presque. Il n’y a pas de carburant et presque pas de circulation. Les hôpitaux sont fermés ou rationnent l’énergie. Premiers rapports de choléra », a-t-il tweeté, à quelques heures de la réouverture officielle des classes et de l’année judiciaire.
Le tweet de Maarten Boute intervient au moment où, autour de 18 heures, ce dimanche 2 octobre, des rafales d’armes automatiques étaient entendues autour du terminal de Varreux. « Le terminal est toujours fermé. Il y a une opération PNH/ FAD’H en cours », a confié au journal Le Nouvelliste une source proche de l’industrie pétrolière.
Ces derniers jours, il y a eu pas moins de cinq opérations des forces de l’ordre pour essayer de briser l’étau qui enserre le principal de centre de stockage de produits pétroliers du pays, assiégé par des gangs qui réclament le départ du premier Ariel Henry. Aucune des opérations n’a été couronnée de succès.
« Pour le moment, il n’y a rien de positif », a poursuivi cette source qui promet d’informer le journal en cas d’évolution alors que le fil des messages WhatsApp permet de dimensionner l’impact de la violence, de l’aggravation de la crise énergétique sur presque tous les secteurs d’activités.
Les banques privées ont décidé ce week-end d’ouvrir leurs guichets aux clients que trois jours par semaine faute de carburant pour opérer et à cause des difficultés de plus en plus grandes que rencontre leur personnel pour venir travailler.
« L’association professionnelle des banques (APB) se fait le devoir d’aviser le public en général et la clientèle des banques en particulier, qu’en raison de la sévère crise de carburant à laquelle fait face le pays, ses membres sont contraints d’adopter un horaire spécial de fonctionnement jusqu’à la régularisation de l’approvisionnement en produits pétroliers », peut-on lire dans une note de presse.
Les messages d’institutions qui, les unes après les autres, annoncent leur fermeture ou la réduction de leurs activités côtoient les images de routes bloquées dans la région métropolitaine et en province.
La Conférence haïtienne des religieux, dans une note interne consultée par Le Nouvelliste, demande aux écoles congréganistes de « surseoir présentement à la réouverture des classes prévue pour le lundi 3 octobre prochain en raison de la situation de violence et d’insécurité généralisée qui sévit dans le pays ».
Selon cette note en date du 28 septembre, il est également demandé à ces écoles de « cesser de donner des cours en ligne en signe de solidarité avec les enfants qui ne peuvent pas en bénéficier à cause de la situation ».
Les écoles catholiques représentent 15% de l’offre scolaire en Haïti, selon un document de la Conférence haïtienne des religieux consulté par Le Nouvelliste.
Entretemps, le dimanche 2 octobre, l’institution Saint-Louis de Gonzague, l’un des plus prestigieux établissements d’éducation du pays, a annoncé qu’elle ne reçoit pas d’élèves ce 3 octobre et ce jusqu’à nouvel ordre.
« Après une large consultation auprès de la communauté saint-louisienne: parents, professeurs, personnel administratif et de soutien, la Direction de l’Institution Saint Louis de Gonzague vous informe qu’elle ne reçoit pas d’élèves le 3 octobre 2022 et cela jusqu’à nouvel ordre. Merci de votre collaboration ! », peut-on lire dans cette note signée du D+S Frère Simon Alphonse, directeur.
Il y aussi d’autres écoles non publiques qui sont dans l’expectative. Face à l’impossibilité de travailler in situ, d’autres options sont envisagées, a expliqué une source qui met en avant les contraintes énergétiques qui impactent tout le monde.
Le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) prend note des différents appels émanant d’institutions éducatives et de différents secteurs de la population appelant à un climat sécuritaire et un meilleur cadre devant faciliter les déplacements des écoliers, des parents et des enseignants pour la rentrée des classes, selon une note de presse du ministère à l’occasion du 3 octobre.
« Le MENFP reconnaît que la première semaine du calendrier scolaire 2022-2023 démarrant le 3 octobre sera difficile pour la relance des activités scolaires dans plusieurs endroits du pays et s’attend à une rentrée scolaire progressive et difficile », a indiqué la note de presse.
« Ainsi, il annonce que ce sujet a été porté à l’attention du Conseil du Gouvernement du 2 octobre 2022 qui s’engage, une fois de plus, à créer un cadre sécuritaire approprié et un dispositif adéquat afin de faciliter le déplacement de la population en général et des écoliers, en particulier », selon cette note.
Fleuron des supermarchés, la Caribbean Supermarket, a annoncé ce dimanche qu’en raison de la sévère crise de carburant à laquelle fait face le pays, la direction est contrainte d’adopter un horaire spécial de fonctionnement jusqu’à la régularisation de l’approvisionnement. A partir de ce lundi 3 octobre 2022, La Caribbean ouvre ses portes du Lundi au Samedi de 8h a.m. à 4h p.m et le dimanche de 8h am. à 2h p.m.
Dans un autre avis, c’est une entreprise de ramassage d’ordures, la Ampo Services S.A. qui indique qu’elle se voit dans l’obligation d’arrêter ses services de ramassage à partir du 16 octobre 2022. Ceci est dû à : l’impossibilité de trouver du carburant, l’impossibilité d’arriver chez les clients et aussi l’impossibilité d’arriver aux différents sites de décharges dans la zone métropolitaine, peut-on lire dans cet avis, un énième parmi tant d’autres qui illustrent l’asphyxie des entreprises et la descente aux enfers des communautés qui devront désormais composer avec la résurgence du choléra.
Le plus important supermarché qui réduit ses heures d’ouverture illustre la situation d’un secteur qui doit composer avec des rayons dégarnis et l’impossibilité de générer de l’électricité faute de diesel pour garder au frais les aliments. Ce qui est vrai pour l’entreprise privée de ramassage de détritus l’est aussi pour le service public de collecte des résidus solides. C’est dans les rues sales, les maisons privées qui gardent leur fatras et dans une ville qui a des difficultés à trouver de l’eau de qualité que le choléra fait son retour.
« Les Nations Unies soutiennent les efforts du gouvernement d’Haïti pour contenir une épidémie de choléra et fournir des mesures d’urgence pour sauver des vies, suite à la confirmation d’un cas positif et l’identification de plusieurs cas suspects dans la région métropolitaine de Port-au-Prince », d’après un communiqué de l’ONU.
« Le cas a été identifié grâce au mécanisme de surveillance du choléra, mis en place par les autorités haïtiennes et soutenu par les Nations Unies. Il a été confirmé comme positif au Laboratoire national de santé publique de Port-au-Prince, le dimanche 2 octobre. D’autres cas suspects font actuellement l’objet d’une enquête », poursuit le communiqué.
A cause de la rupture de ses réserves de carburant, Nreca a fermé depuis plus d’une semaine la centrale électrique qui alimente le parc industriel de Caracol qui emploie 12 000 personnes.
Vendredi, des pillages au parc industriel de Codevi, ont occasionné la fermeture temporaire de cet autre parc à Ouanaminthe qui donne du travail à 20 000 personnes dont 18 000 Haïtiens. Cette situation est catastrophique pour cette industrie.
Elle l’est tout aussi pour les petites entreprises, se désole une source proche de l’ADIH interrogée par Le Nouvelliste. Des parcs industriels au niveau de la zone métropolitaine, comme celui de Digneron, à Croix-des-Bouquets, qui étaient impactés par l’insécurité, sont maintenant frappés de plein fouet par la crise du carburant. Les rares usines qui ont encore un peu de stock, fonctionnent au ralenti, avec un personnel réduit.
« Je fonctionne avec 50 % de mes capacités dans une usine. Les ouvriers qui n’habitent pas loin viennent travailler », a confié le manager d’une usine qui s’inquiète de l’impact des difficultés rencontrées ces temps sur les commandes que placeront les donneurs d’ordre en janvier 2023.
« Nous vivons une situation compliquée. Aucun container n’entre et ne sort du port de Port-au-Prince », a ajouté cette source.
Sur le plan politique, rien ne bouge. C’est l’indécision. « Je suis grandement préoccupé par cette situation délétère, ces moments difficiles que connaît mon pays. Il est grand temps de trouver le compromis nécessaire entre les Haïtiens.nes pour résoudre nos différends au profit de l’intérêt général. Et de poser les bases d’une Haïti meilleure où l’avenir de nos fils et de nos filles sera une garantie », a tweeté le 1er octobre l’ex-président provisoire, Jocelerme Privert. C’est son énième appel à trouver une solution pour stopper la descente aux enfers.
Si l’ancien président communique périodiquement, les acteurs politiques de l’opposition et le gouvernement mènent silencieusement leurs batailles qui conduisent Haïti et les Haïtiens aux portes de l’enfer, ce lundi 3 octobre 2022.