Il n’est pas coutumier dans l’histoire contemporaine de notre pays d’assister à une vague de contestations de différentes couches de la population vis-à-vis d’un président en exercice. Mis à part les partis politiques de l’opposition et des secteurs de la société, l’entrée en scène dimanche des artistes n’a pas laissé indifférents les observateurs. Depuis les événements survenus en 2004 contre le président Jean-Bertrand Aristide avant l’échéance de son quinquennat, les deux autres chefs d’Etat élus successivement en 2006 et en 2011 ont bouclé leur mandat. Que ce soit avant l’arrivée au pouvoir du Dr François Duvalier en octobre 1957 ou après le départ pour l’exil de son fils Jean-Claude en février 1986, l’exercice du pouvoir d’un président élu en Haïti est parsemé d’embûches. C’est sans doute pourquoi l’instabilité politique doit être considérée comme une variable non négligeable dans la conduite des affaires de l’Etat.
En 2004, la mauvaise gestion de la crise électorale du 21 mai 2000, ajoutée à une série d’événements conjoncturels, a permis à l’opposition politique et au Groupe 184 d’obtenir le départ de Jean-Bertrand Aristide du pouvoir. Cette année, l’opposition politique, la crise institutionnelle au Parlement, le rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif sur le fonds PetroCaribe et les différents scandales qui ont éclaboussé les dirigeants du pays sont à la base de cette contestation. Les jeunes de différentes régions du pays réclament la démission du président de la République, des parlementaires, des élus locaux dans le but de sonner le glas d’une société arriérée. Pour passer d’une société archaïque à une autre où il fait bon vivre, bref pour entrer dans la modernité, il faut changer le mode de fonctionnement des institutions de l’Etat.
C’est la première fois depuis 1986, qui marque la fin de la dictature des Duvalier, la fin d’une époque, qu’il y a autant de secteurs qui clament haut et fort la fin de cette société archaïque. De Port-au-Prince au Cap-Haïtien, en passant par Gonaïves et dans les coins les plus reculés du pays, le mécontentement est général. Le taux élevé du chômage, le bas niveau de vie de plus de 60% de la population, la mauvaise répartition des richesses du pays, la dégradation de l’environnement, l’exode rural, la corruption et la mauvaise gouvernance constituent les indicateurs utilisés par les médias étrangers pour référer à notre pays. La lutte pour l’émergence d’une nouvelle société dépasse la personne de Jovenel Moïse comme président de la République. Quelle que soit la personnalité qui serait au pouvoir à l’heure actuelle à la place de Jovenel Moïse si elle incarnait cette société archaïque, elle subirait le même sort que lui.
Dans cette optique, Jovenel Moïse veut-il rester au pouvoir pour pérenniser cette société archaïque ou veut-il prendre le train de la société moderne indispensable à l’Haïti de demain ?
Lemoine Bonneau