Le président Moise perdra le pouvoir, quelle que soit l’option considérée
Par Guyler C. Delva
À moins d’être aveugle, inconscient ou insouciant, on doit aujourd’hui convenir d’un fait : le président Jovenel Moise a perdu le pouvoir, un pouvoir qui doit désormais être vécu comme un souvenir actif et agité qui tend à éluder une réalité pourtant visible et tangible. Il s’agit d’un pouvoir défunt.
Au vu de la situation sociopolitique actuelle, il ne reste plus que deux options envisageables pour le président Jovenel Moise. Soit qu’il donne sa démission, soit qu’il se résolve à cohabiter avec l’opposition pendant un certain temps, en acceptant de réduire la durée de son mandat. Cependant, dans les deux cas il perd le pouvoir.
Il est évident que dans le cas d’une cohabitation, qui serait actuellement la meilleure chance pour le Chef de l’État de demeurer au palais, l’opposition tacherait de ne lui laisser que les gencives. Ses opposants lui arracheraient toutes les dents. Ils prendraient la primature, les ministères régaliens (dont les ministères des Finances, de la Justice, de l’Intérieur, des Affaires Étrangères) et d’autres directions générales clés. Et Jovenel Moise serait contraint de jouer le jeu au risque d’être forcé à la démission.
Et dans une cohabitation comme celle que nous venons de décrire, Jovenel Moise serait à la merci de ses farouches ennemis et n’aurait absolument rien à diriger. Donc il n’aurait plus aucun pouvoir réel et plus aucune influence sur les ministres qui feraient les décisions clés dans sa soi-disant administration. Dans ce cas précis, il serait humilié et perdrait le pouvoir même en continuant d’être le locataire du palais présidentiel.
En d’autres termes, la situation, telle qu’elle se présente aujourd’hui, ne laisse, à mon humble avis, qu’une et unique sortie honorable au président de la République, celle de tirer les conséquences logiques de la perte quasi totale de la bataille d’opinion, l’opinion publique étant un élément fondamental et déterminant de la démocratie – cette démocratie souvent mutilée par ceux-là mêmes qui prétendent à ses bénéfices et bienfaits.
Et si le président venait effectivement à démissionner, il ne serait pas de bon ton que les rênes du gouvernement transitionnel soient confiées aux extrémistes de l’opposition, mais à des techniciens ou technocrates haïtiens honnêtes, patriotes, et capables de s’asseoir avec tous les secteurs politiques et socio-économiques, sans exclusive, dans la perspective d’un accord global sur un ensemble de sujets sensibles et incontournables devant être agités dans l’intervalle compris entre la prise de fonction de l’équipe de transition et l’organisation de nouvelles élections. Mais tout passe par un dialogue.
Il ne fait aucun doute que si des extrémistes de l’opposition venaient à s’approprier le pouvoir, des pratiques mafieuses, d’un passé pas trop lointain, et une chasse aux sorcières contre les dirigeants et proches du Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), seraient à craindre, à un moment où la stabilité politique serait si nécessaire à la suture du tissu social haïtien déchiré.
La manifestation monstre organisée dimanche à l’initiative des artistes a été très significative et constitue un signe indicatif du trop-plein ressenti par beaucoup de gens ordinaires qui, entre autres, ne peuvent plus vaquer normalement à leurs activités, envoyer leurs enfants à l’école, manger à leur faim, ect.
Jovenel Moise, victime de l’establishment mafieux, peut délibérément soumettre sa démission ou proposer une cohabitation assortie d’une réduction de la durée de son mandat, en vue d’élections anticipées, dans le cadre de potentiels pourparlers pour trouver une issue à cette crise qui ne peut plus durer. Cependant, il est impératif qu’il parle et se prononce sur ces éventualités. Et il faudrait qu’il le fasse sans plus tarder pour sauver ce qui peut l’être encore.
Il faut noter que beaucoup de ces Haïtiens, qui aujourd’hui exigent le départ de Jovenel Moise, ne le font pas nécessairement par hostilité politique vis-à-vis du président, mais parce que ce dernier et son équipe ne sont pas parvenus à trouver un moyen pour contenir les assauts de l’opposition qui leur rend la vie impossible.
Ce bras de fer malencontreux, auquel se livrent nos acteurs politiques, fera certainement et incontestablement une grande victime qui ne mérite point d’endurer une telle affliction. Il s’agit d’Haïti. Car ce que nous faisons ne semble avoir rien à voir avec elle. Le maintien du président Jovenel Moise au pouvoir dans ces conditions ou la séquestration du pouvoir par l’opposition dans les circonstances actuelles ne saurait en aucun cas servir les intérêts supérieurs de la nation.
Haïti est foutue! Beaucoup le disent aujourd’hui. Mais je me refuse à le dire et à l’admettre par optimisme, car je persiste à croire, même sans fondement apparent, que nous pouvons encore nous dépouiller de nos instincts bestiaux qui expliquent notre déni d’humanité, pour revêtir nos costumes d’animaux doués de raison, d’intelligence…, et pour mériter notre statut d’humain.
Excusez la crudité de mes propos, mais ce n’est pas mon intention de blesser quiconque. Cependant, il demeure un fait que ce flegme méprisant que nous affichons vis-à-vis du désastre national nous fait sombrer dans une déraison bouleversante et une barbarie avilissante, indignes de nos valeureux ancêtres.
Une grave question que nous devons nous poser à nous tous : sommes-nous fiers de ce que nous faisons à ce pays ou de ce pays ?
Joseph Guyler C. Delva